Par Quitterie Fernandès

Publié le 14 mai 2025


 

Historienne de l’art et conférencière complice de longue date de Key People, chacune de ses interventions est une invitation à regarder autrement — l’art, bien sûr, mais aussi le monde, le pouvoir, la transformation.
Et notamment celle qui s’inscrit dans le cadre du programme Konnivences, destiné aux femmes dirigeantes. Depuis les débuts du parcours, Pauline Pons propose une étape marquante avec son approche sensible, culturelle et profondément humaine.


« Ce que vous proposez avec Konnivences me semble éloigné de la simple formation professionnelle pour femmes dirigeantes. Les rencontres où je suis intervenue m’ont impressionnée par leur intensité. Il m’a semblé que vous recréiez les conditions d’une connivence profonde, précisément, quasi originelle entre des femmes hyper connectées au monde moderne mais qui n’ont rien perdu de leur capacité à s’écouter les unes et les autres, à partager ce qui les touchent, à envisager des plans d’action ensemble, dans le respect de la communauté (de leurs collaborateurs dans le cadre de leurs entreprises) »

 

Charlotte Perriand ou l’audace discrète


Pour parler de leadership, nous avons pris le parti avec Pauline Pons, lors des rencontres de Konnivences, de s’inspirer d’une figure féminine peu connue du grand public, mais qui a véritablement marqué le monde de l’art, non seulement par ses créations mais aussi par sa personnalité singulière.

Charlotte Perriand, mise à l’honneur il y a peu grâce à une exposition à Paris qui lui a été consacrée, est selon Pauline l’incarnation même de l’artiste accomplie.

Frondeuse mais aucunement provocatrice, persévérante mais pas entêtée, à l’affût de toute nouveauté artistique, Charlotte Perriand a d’abord et avant tout su être à l’écoute de sa voie. En refusant de s’enfermer dans une seule discipline, Charlotte Perriand a tout expérimenté : de la conception de meubles jusqu’à l’architecture, en passant par la photographie. Polyvalente et surtout rejetant toute étiquette, sa vie demeure un témoignage d’ouverture et de curiosité à l’égard du monde moderne qui la passionnait.

 

Dans un cycle de rencontres censé faire réfléchir à la posture de dirigeante, Pauline prévient : « Charlotte Perriand était une femme qui ne cherchait pas à s’imposer. Elle écoutait ses envies et mettait tout en œuvre pour les réaliser. En frappant à la porte du cabinet d’architecture de Le Corbusier, elle savait exactement ce qu’elle voulait : évoluer sinon avec les meilleurs architectes de son temps, du moins avec ceux qui pouvaient la faire grandir ! Sa motivation : l’envie d’apprendre, d’expérimenter, de découvrir l’inconnu. »

Et Pauline de rajouter : « Ce que d’aucuns verraient comme un excès de discrétion de la part de Charlotte Perriand qui n’a jamais revendiqué son statut de femme au cœur d’un monde artistique essentiellement masculin lui a permis de s’adapter précisément à tous les milieux et de trouver sa propre voie. Aujourd’hui plus personne ne confond ses créations avec celles d’un Le Corbusier ou d’un Jean Prouvé. Les connaisseurs y décèlent un soin particulier apporté aux détails garantissant le confort et surtout le bien-être de l’utilisateur. »

 

Dans la session animée par Pauline, Charlotte Perriand devient le miroir dans lequel chaque participante peut explorer
son rapport au pouvoir, à la légitimité, au risque et à la transformation. Une source d’identification subtile, sans injonction, mais qui laisse une empreinte durable.

 

 

Faire cercle : un espace de reconnexion


Lorsqu’on l’interroge sur ce qui rend Konnivences si unique, Pauline Pons ne parle pas d’outils ou de méthodes. Elle parle de cadre, de chaleur et d’écoute : « Ce qui m’émerveille, c’est que dès les premières minutes, on est dans quelque chose de l’ordre du sacré. C’est un cercle, presque un retour à la communauté première. On pourrait dire un conseil de femmes autour du feu — sauf qu’ici, le feu, c’est la parole. »

Pas de hiérarchie, pas de compétition. Une facilitatrice-coach (Sophie Péters) crée les conditions d’un espace sécurisé et bienveillant où chacune peut déposer ses doutes comme ses élans au fil du parcours et de l’accompagnement. Où la parole n’est pas là pour convaincre, mais pour relier et avancer. « Chez Konnivences, on est momentanément coupé du monde et de ses turpitudes. Comme si le temps était suspendu. »

 

 

Cheminer ensemble : la puissance de la sororité

Créer ces espaces, où la parole est sacrée, c’est permettre d’écouter ce qui cherche à émerger et à se révéler. Car ce n’est qu’en étant vues, entendues, reconnues dans leur vérité que les femmes peuvent incarner pleinement leur posture de leaders. Loin des modèles linéaires et compétitifs, elles tracent leur propre chemin singulier, nourris de réflexions profondes, d’échanges vivants, de contemplation et d’écoute. C’est dans cette ouverture au monde et à l’autre que naît une forme de puissance tranquille, douce mais inébranlable.

 

Pauline Pons l’exprime avec justesse : « Ce que je relève à chaque fois dans les sessions Konnivences, est la qualité d’écoute entre les participantes. On pourrait parler de curiosité au sens étymologique du terme (curare) : chaque participante prend soin de la parole de l’autre et s’en nourrie. Quand toutes les conditions sont réunies pour favoriser une telle écoute, tout devient possible ! Il me vient à l’esprit un tableau de Velasquez de 1657 qui représente des Fileuses réunies autour d’un rouet. Ensemble elles vont filer la laine, ce matériau brut que l’on aperçoit au premier plan du tableau, activité qui précède la magnifique tapisserie qu’elles s’apprêtent à tisser et que l’on devine au fond du tableau. Konnivences permet cela : partir de sa matière brute pour la partager avec les autres grâce aux propositions du coach facilitant la démarche, progresser ensemble jusqu’à l’accomplissement du chef-d’œuvre ! »

Cheminer ensemble, c’est aussi écrire une histoire ensemble. Une histoire faite de rencontres, de silences partagés, de vérités murmurées à l’oreille d’autres femmes. C’est construire une mémoire commune, une force collective qui se transmet au-delà des mots, dans les regards, les gestes, les présences.

 

 

Contempler pour mieux agir

 

Dans l’échange, Pauline Pons revient souvent à cette tension féconde entre faire et être : « L’artiste est à l’intersection, dit-elle. Il faut créer, bien sûr, mais aussi regarder, ressentir, contempler. Et c’est dans cette contemplation que naît une autre forme de puissance. »

Ce détour par l’art, loin d’être accessoire, est une expérience d’accès à la sensibilité. Car sans sensibilité, comment diriger dans un monde illisible ? Comment capter ce qui n’a pas encore été formulé ? Pour Pauline Pons, la contemplation n’est pas un luxe, mais une ressource stratégique.

 

 

Une symphonie de présences

Ce qui ressort de cette conversation, c’est une vision du leadership profondément ancrée dans l’humain, dans l’écoute, dans la sororité. Konnivences devient alors un espace de résonance, où chaque voix trouve sa juste place, entre silence et éclat.

« On compose collectivement une partition, dit Pauline, ponctuée de mots et de silences, et ce que l'on entend, à la fin, c'est une symphonie ! »

Et c’est peut-être cela, la promesse de Konnivences : un programme qui n’impose rien, mais qui offre beaucoup.

Un temps pour nourrir ce qui, souvent, est négligé : l’intuition, le sensible et le lien. Un laboratoire pour redonner à chacune

la liberté d’avancer, plus alignée, plus vivante.